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AUVERGNE : « NOUS AVONS CRÉÉ UNE STRUCTURE SOLIDE »

L'arrivée d'un quatrième associé sera l'une des prochaines évolutions au Gaec de la Crouzette. La structure regroupe depuis 2006 Jean-François Falcon (à droite), Éric Rispal (à gauche), et André Delrieu, dont la fille Océane pourrait prétendre à cette future installation. © M.R.-M.

En regroupant leurs trois exploitations, Jean-François Falcon, André Delrieu et Éric Rispal, installés en zone de montagne dans le Cantal, ont atteint leur objectif de produire 800 000 litres de lait.

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CELA FAIT PRÈS DE DIX ANS QUE LES TROIS VOISINS se préparent à l'après-quotas 2015. Ce virage jonché d'incertitudes, ils l'ont anticipé en regroupant leurs élevages respectifs. Un bond en avant significatif sur les plans technique, économique et humain. « Les possibilités de faire évoluer nos structures individuelles étaient quasiment inexistantes par manque de disponibilité de foncier et de références supplémentaires. Nous allions stagner jusqu'à la retraite sur des exploitations vouées à disparaître. Il est plus intéressant d'essayer de s'adapter à un contexte économique en pleine évolution », analysent les trois éleveurs. Avant la création de leur Gaec en 2006, André élevait 33 vaches laitières sur 60 ha pour un quota de 140 000 litres de lait. Ses deux bâtiments traditionnels (étables entravées) étaient enclavés dans un lotissement au coeur du village. L'exploitation de Jean-François comptait 80 ha et 40 vaches dans trois bâtiments traditionnels pour une production de 200 000 l de lait. Éric, quant à lui, élevait 28 vaches sur 40 ha avec un quota de 110 000 l de lait. De 2006 à 2009, les associés ont regroupé leurs troupeaux pendant l'été avec des traites pratiquées à l'extérieur. Chacun devait rentrer chez lui l'hiver car le projet de construction d'un bâtiment neuf a piétiné. « Les enveloppes de subvention du plan bâtiment de l'époque étaient insuffisantes et bloquaient les dossiers. Nous avons trouvé ces hivers très longs », se souviennent les éleveurs. La stabulation conçue pour abriter les trois troupeaux sous le même toit est enfin opérationnelle depuis décembre 2009. Les éleveurs l'ont construite sur 2 ha situés au centre du parcellaire des trois exploitations et achetés à deux propriétaires différents : 80 ares à l'un et 1,2 ha à l'autre pour un total de 8 000 €. « Nous ne pouvions pas prendre le risque d'investir 450 000 € en dur sur un terrain loué. »

« NOUS ESPÉRIONS BIEN QUE LE GAEC SERAIT MEILLEUR QUE NOUS SÉPARÉMENT »

Rencontrés en 2012, les éleveurs témoignaient déjà d'une amélioration importante de leur productivité par UTH, passée de 152 000 l en 2007 à 207 500 l grâce à deux achats de 80 000 l en TSST (transfert de quotas sans terre) et quelques attributions. Elle atteint aujourd'hui 270 000 l par UTH. Un dernier achat de 75 000 l a été effectué l'an passé. En 2014, le Gaec a produit 800 000 l de lait, l'un des objectifs que s'étaient fixé les éleveurs. « Un été pluvieux, synonyme d'une bonne production d'herbe pour nos sols séchants, nous a aidés », précise Jean-François. Le ratio marge brute globale/produit brut progresse de 52 % en 2007 à 71 % en 2014, et l'EBE/produits de 26 à 40 % sur cette même période. « Nous espérions bien que le Gaec serait meilleur que nous séparément », se réjouissent les associés, qui ont réussi à accroître la productivité au travail sans dérapage des charges. L'autonomie du système est l'une de ses forces, une bonne gestion des investissements réalisés en est une autre. Lors du passage en ration complète en 2010, les éleveurs ont opté pour une distribution de l'alimentation hivernale en Cuma avec trois autres exploitants du secteur pour en diminuer le coût. Le temps libéré est consacré à la traite et à la surveillance des animaux. L'exploitation est autosuffisante en fourrages grâce à un ensilage précoce et un rationnement précis durant l'été. Quinze hectares de céréales assurent l'autonomie en paille et une réduction des achats de céréales à 100 t. Le coût du concentré (60 €/1 000 l en 2012 contre 90 € de moyenne départementale) a été encore réduit grâce à des achats directs de matières premières à des courtiers depuis 2013.

« NOTRE EXPLOITATION MODERNISÉE EST VIABLE »

Des économies sont également réalisées grâce à l'entrée en service d'un unique bâtiment de stockage des fourrages à côté de la stabulation. Construit en 2013 avec une couverture de 1 250 m2 de panneaux photovoltaïques, il a coûté 30 000 euros (bardage et portes), qui ont signé un bail emphytéotique avec une société produisant de l'électricité. Les achats de matériels personnels se réduisent à quelques tracteurs et au matériel de fenaison grâce à deux Cuma. Les éleveurs réduisent leur taux d'endettement à 36 %. « Nous avons atteint nos objectifs de rendre viable une structure modernisée avec un niveau de revenu mensuel correct et des conditions de travail nettement améliorées. À l'avenir, nous ne nous écarterons pas d'une gestion très rigoureuse. Nous allons même conforter une gestion de trésorerie la plus épargnante possible pour affronter une volatilité prévisible des cours du lait », expliquent les éleveurs.

« LA PRIME DE 18 €/1 000 L POUR LE LAIT AOP NE SUFFIT PAS »

En 2009, ils se sont engagés avec conviction dans le nouveau cahier des charges de l'appellation d'origine protégée cantal. « Une chance à saisir, d'autant que notre système, fondé sur l'herbe, respecte les 150 jours au minimum de pâturage imposés par ce cahier des charges. Nous n'excédions pas non plus la limitation de 1 800 kg de concentrés par vache et par an. » Les éleveurs ont également opté pour une filière lait cru servant à la fabrication de l'AOP sur le site voisin de Talizat. « Cette option "lait cru" aurait été impossible sans notre association et une installation adaptée à une bonne maîtrise sanitaire du lait », précise Jean-François. En cinq ans, le paysage laitier de la région s'est également restructuré : Sicolait, née de la fusion de quatre petites coopératives locales, a été reprise par le groupe 3A en 2010, lui-même repris par Sodiaal en 2014. La coopérative, qui devient ainsi le premier collecteur français en zone de montagne avec plus de 3 400 producteurs, répartis sur les départements du Massif central, affiche sa volonté de conforter le positionnement des AOP. « Nous avons la capacité d'investir dans nos outils industriels et de développer nos ventes. Nous croyons dans les fromages d'appellation pour l'avenir des producteurs dans ces zones géographiques », affirme Yves Soulhol, directeur Sodiaal pour le Massif central. Un credo que partagent les éleveurs, à condition qu'une plus-value différencie le prix du lait AOP du lait standard. « La prime moyenne de 18 €/1 000 l perçue jusqu'en 2013 ne suffit pas », estiment les éleveurs. Depuis 2014, c'est un prix minimum garanti qui s'applique sur 55 % du litrage produit (pourcentage de lait transformé en AOP cantal sur la zone). Il s'élevait à 380 €/1 000 l en 2014. Il est en cours de négociation pour 2015. « En nous limitant les concentrés par vache, le cahier des charges limite la production par vache. Or, si nous voulions augmenter notre production, c'est le seul paramètre que nous pouvons actionner aujourd'hui. Avec 120 vaches et leur suite, le bâtiment est plein. Et le prix du foncier et la faible disponibilité en terres rendent tout agrandissement très aléatoire. Nos décisions dépendront donc du prix du lait dans les prochaines années. Nous espérons un prix AOP rémunérateur, à hauteur de ceux de 2014, avec l'objectif d'installer rapidement un quatrième associé pour dégager plus de temps libre et préparer le départ à la retraite d'André dans cinq ans. »

MONIQUE ROQUE-MARMEYS

L'exploitation se situe sur la planèze de Saint-Flour, plateau basaltique dans les monts du Cantal.

© JÉRÔME CHABANNE

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